jeudi 4 septembre 2008

Le premier "miracle" de la junte


La baisse des prix

Comme cela a fait l’objet d’une forte publicité dan les médias officiels mauritaniens, les prix des denrées de première nécessité auraient baissé. Certains médias sont même allés jusqu’à qualifier cela « de cadeau du HCE pour le mois de Ramadan ». Après le laudatif politique, voilà le laudatif économique. Mais si en politique on peut appuyer ses applaudissements sur une vague idée de ses intérêts, en économie on ne peut le faire que sur une vérité. Car si un idéal politique ne se calcule pas, la réalité économique est un calcul de tous les jours.

Comment donc en ce mois de ramadan peut-on soutenir que les prix ont baissé ?

Pour apprécier la réalité des choses et pour éviter d’induire en erreur de pauvres gens en attente de vérité, voyons comment se fixent les prix dans une approche économique et commerciale (I) puis attachons-nous à apprécier sa portée dans le contexte économique mauritanien (II)

I- La fixation du prix des biens

Lorsque le prix d’un produit quelconque sur un marché varie cela s’explique successivement ou cumulativement par plusieurs conditions qui déterminent les facteurs de sa hausse ou de sa baisse. Pour simplifier nous dirons que ces conditions se répartissent en conditions structurelles et en conditions conjoncturelles.

1. Les conditions structurelles

Ces conditions sont appelées ainsi parce qu’elles relèvent de la structure interne (a) et externe (b) même du prix affecté économiquement comme valeur marchande du produit. Cette valeur marchande commerciale est appelée économiquement prix de vente.

a- La structure interne du prix du produit ou « internalités »

Le prix de vente du bien est établi sur la base d’un prix de revient.

Le prix de revient de ce bien est égal au prix d’achat plus les coûts accessoires nécessaires à son acquisition (assurance, transport etc.)

Le prix de vente du produit se compose donc d’un prix de revient auquel vient s’ajouter une « marge » commerciale qui constitue le « bénéfice » du commerçant.

Cette marge commerciale est calculée en tenant compte :

- de la nature du produit (biens de première nécessité ou biens de luxe)
- de son régime juridique (biens homologués dont les prix à la vente sont administrativement fixés ou en liberté de prix avec un prix conseillé par le producteur)
- du régime fiscal auquel le bien est soumis (généralement une taxe sur la valeur ajoutée et accessoirement pour certains produits, des droits de consommation)

b- La structure externe du prix ou « externalités »

Le prix du produit calculé suivant les règles précédentes, se trouvent souvent modifié par des facteurs externes à savoir notamment l’environnement économique international ou national.
Ainsi un produit peut se voir apprécié du fait de l’évolution à la hausse des coûts de l’énergie (prix du pétrole) ou des intrants, c’est-à-dire les composants qui participent à sa fabrication (exemple le prix du blé pour le pain).
De même à l’échelle nationale, une élévation du taux de la fiscalité appliquée à ce produit peut affecter son prix (exemple hausse du taux de la TVA ou des droits de douanes) ou même la modification par les pouvoirs publics des modalités de sa compensation ou de son homologation.
Ces « externalités », peuvent effectivement faire varier le prix du produit de façon très sensible. Et ils ont ce que l’on peut appeler particulièrement dans nos pays en développement, où le contrôle des prix est défaillant, « un effet de cliquet », les prix augmentés ne baissent généralement pas.

2. Les conditions conjoncturelles

Ces conditions passagères sont généralement le fait d’une stratégie marketing, mais parfois aussi d’une conjoncture économique particulière, spontanée ou auto-entretenue.
Ainsi la promotion commerciale d’un bien peut pendant une période déterminée entrainer une baisse volontaire de son prix, afin de l’introduire sur un marché ou pousser les consommateurs à l’acquérir en vue de l’apprécier. Cette baisse peut aussi être consécutive à des rabais ou à des remises consentis à des détaillants qui peuvent les répercuter sur le produit à la vente.
Si tous ces éléments relèvent d’une stratégie de marketing ou d’entreprise, il reste que la baisse des prix peut aussi provenir d’une agressivité commerciale visant à conquérir un marché ou des segments de marché, c’est le cas du dumping. Enfin, la rareté d’un bien sur le marché ou son abondance peut aussi entrainer des variations à la hausse ou à la baisse du prix de ce bien.

Les conditions conjoncturelles peuvent donc être provoquées (promotion) ou induites par l’offre et la demande sur le bien.

Il convient donc de s’interroger sur la réalité de la « baisse des prix » qui aurait eu lieu en ce mois de ramadan. Et que l’on impute à une volonté des pouvoirs publics de faire face à la cherté de la vie.

II- Les prix ont-ils vraiment baissé en Mauritanie ?

Si les prix ont baissé en Mauritanie, cela signifie que les pouvoirs publics ont une maîtrise réelle de leurs mécanismes et peuvent agir pour les manipuler dans le cadre de la politique des prix.
Or comme nous allons le constater la politique des prix échappe complètement aux pouvoirs publics (a) elle dépend entièrement de la volonté des opérateurs économiques et notamment les commerçants (b)

a- Les pouvoirs publics ne peuvent maîtriser les prix

Cette impuissance des pouvoirs publics à agir sur les prix s’explique par deux facteurs. Le premier facteur est inhérent à l’absence d’un tissu industriel et commercial national sur lequel une politique industrielle et commerciale puisse être appliquée permettant un encadrement des prix. Sur cette question voir notre article " R = C + E", l'équation qui empoisonne l'économie mauritanienne"

En effet, le tissu manufacturier et industriel de production mauritanien n’est pas étoffé pour permettre une action sur les prix à travers une gestion des intrants et du coût de fabrication des produits dans les chaines de production. Tout est quasiment importé et le prix du produit importé n’est pas maîtrisé économiquement à travers une politique industrielle et commerciale mettant à contribution les unités de production nationales.

Le second facteur qui explique l’impuissance des pouvoirs publics à appliquer une politique des prix vient du fait de la dépendance du pays de l’importation des biens consommés sur le territoire.

Le prix du produit importé est, en effet, dépendant essentiellement d’éléments, non compressibles. A savoir notamment :

- La déclaration de la valeur du produit à l’importation par le commerçant (présentation de factures d’achat),
- Les droits de douanes auquel ce produit est soumis,
- Les taxes fiscales intégrées dans le prix du produit à la vente ,
- La marge bénéficiaire que le commerçant s’adjugera.

Dans ces conditions, comment le prix de ce produit peut baisser ? En d’autres termes quels sont les leviers utilisés par les pouvoir publics mauritaniens pour faire baisser les prix ?

Eût égard à ce qui précède, on peut arriver à cette baisse en agissant individuellement ou cumulativement sur les éléments du prix de vente du bien. Soit en amont, soit en aval.
En amont, en agissant sur prix à l’importation, sur le taux des droits de douanes, sur les taxes fiscales et autres impôts frappant le produit, sur la marge bénéficiaire du commerçant (en homologuant ou en fixant une liste de prix à échelle variable).

Pour ce faire, les pouvoirs publics doivent posséder d’importantes statistiques sur le volume, la nature et les prix des différentes catégories de produits importés, avec des études périodiques collationnées et actualisées annuellement des droits de douanes appliqués, non pas théoriquement mais effectivement, à l’entrée des produits sur le territoire national. Ceci permettant de connaître, la valeur en douane du produit importé afin de lui appliquer un régime fiscal adéquat tenant compte de la politique économique de l’Etat pour la consommation de ce produit sur le territoire national (produit de luxe surtaxé, produit de consommations courante moins taxés, produits de première nécessité bénéficiant d’exonération ou de régimes de compensation etc.).

Or on le sait, ni les statistiques de la douane ne sont fiables ni la valeur ni le volume des produits à l’importation ne sont déclarés en toute transparence. Les déclarations de complaisance et les privilèges à l’importation dominent encore ce secteur. C’est autant dire donc que les pouvoirs publics ne peuvent utiliser ce levier pour apprécier la politique applicable aux produits importés et donc sur leurs prix.

Au niveau des impôts indirects applicables aux produits importés, on retrouve les mêmes handicaps. La taxe sur la valeur ajoutée qui est un impôt en cascade supporté par le consommateur final, ne fait l’objet d’aucune surveillance continue. Les commerçants peuvent la répercuter dans leurs produits, pour accroitre leurs prix, mais le contrôle par l’administration fiscale ne permet pas d’assurer l'efficacité de son reversement au trésor public. La TVA collectée (à reverser au trésor) est souvent assimilée à une TVA déductible (ou partiellement versée) dont le commerçant module à son gré le montant. Il y a une grande élasticité entre le prix du produit et l’impôt indirect qui lui est appliqué entrainant tous les dépassements qu’une administration fiscale peine à sanctionner sinon même à (vouloir) connaître.

On comprend qu’à ce nouveau les pouvoirs publics ne peuvent pas utiliser un instrument fiscal qui leur échappe, tout comme on l'avait déjà démontré pour l'instrument monétaire ( voir notre article: "A qui profite la baisse du taux directeur de la Banque Centrale. Le piège de l'économie mercantiliste".)
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Toute variation à la hausse de l’impôt est répercutée par le commerçant sur le consommateur final par une augmentation des prix. Toute baisse de l’impôt n’entraine pas la baisse des prix et se trouve intégrée dans la marge bénéficiaire du commerçant. L’absence du contrôle fiscal (sur les retenues fiscales, les Taxes collectées, sur les déclarations de versement des impôts dus) du contrôle des prix (sur pièces et factures) en est la cause principale. En passant bien entendu sur la complaisance qu’affichent les services fiscaux pour toute une frange de commerçants.

Alors s’il y a une baisse des prix pendant le mois de ramadan, d’où peut-elle bien provenir ?

D’abord, cette baisse des prix ne peut être imputée à une baisse des impôts indirects, notamment de la Taxe sur la valeur ajoutée (permettant ainsi de baisser le prix du produit) ni à une baisse d'impôts directs telle une réduction de l’Impôt sur les sociétés ou du bénéfice industriel et commercial (permettant au commerçant d’initier une baisse de sa marge bénéficiaire). En effet, aucune mesure fiscale n'a été prise en ce sens permettant d'expliquer cela . Elle aurait été même suicidaire pour l’Etat par la baisse de ses revenus fiscaux particulièrement dans la conjoncture actuelle d’embargo économique et financier international.

Ensuite, ce qui est certain, c’est que l’examen de l’environnement économique et commercial mauritanien ne fait pas apparaître une politique des prix entreprise par les pouvoirs publics en utilisant les leviers traditionnels de l’économie nationale. Une politique des prix qui si elle devait exister serait de longue haleine, mise en œuvre par les administrations spécialisées concernées (commerce, industrie, finances) concertées avec tous les agents économiques, faisant intervenir des études économiques mettant à contribution les acteurs sociaux (groupes, syndicats etc. ). Or il n’en est rien, donc la baisse des prix ne peut provenir d’une politique raisonnée mais d’un effet de conjoncture. D’un effet d’action en aval sur les agents économiques, et notamment de ceux qui détiennent le commerce.

En effet, le miracle des prix annoncé récemment, ne serait dû qu’à un mouvement de pression vers le bas sur les prix concerté et organisé par une oligarchie de commerçants dans un but qui n’est autre que politique. (Voir sur cette question notre article: "Discours à la nation des commerçants" )

Si l’on se réfère à la situation économique globale du pays, aucun indicateur social (accroissement du niveau de vie des populations ou augmentation des salaires), financier (accroissement du revenu national) ou international (amélioration des termes de l’échange ou baisse sensible des prix des matières premières ou de l’énergie) ne peut justifier cette baisse des prix.

Donc en définitive si durant ce mois de ramadan, quelques prix sur certains produits spécifiques ont accusé une baisse, il ne s’agit ni d’un miracle, ni du résultat d’une politique économique, ni d’un enrichissement de la nation, mais tout simplement des manipulations des prix par laquelle une oligarchie commerçante agissant et influençant à tous les niveaux de l’Etat, agit dans le sens de ses intérêts. Ici conjoncturellement politiques.

C’est en effet une oligarchie commerçante qui, en présence d’une administration publique soumise, véreuse et corrompue, détient le pouvoir d’agir sur la quantité et le volume des produits importés sur les droits de douane , sur les impôts indirects qu’elle doit à l’Etat, sur sa marge bénéficiaire et qui exprime en ce mois de ramadan l’un de ses pouvoirs : faire croire à des putschistes qu’ils peuvent accomplir des miracles.
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Or, en ce mois béni , le miracle attendu n'est pas celui d'une baisse des prix, mais celui de la baisse d'un coût élevé que le pays tout entier aura à supporter du fait de ses faiseurs de "miracle".

Pr ELY Mustapha.

3 commentaires:

  1. Salu Prof!
    Elle vient d'une subvention prise sur les fonds qui étaient destinés à compléter le PSI, vous vous rappelez? La grosse opération programme d'intervention spécial de prèe de trente millards d'ouguiya, et dont le plus gros était destiné à l'agriculture, pour laquelle un matériel important (machines niveleuses, motopompes, engrais, moissonneuses ....) est un acqui qui reste si le hold up del anouvelle junte ne le fera pas passer par la trappe!

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  2. Merci Prof. Je n'ai pas encore lu, mais votre texte est un excellent outil de vulgarisation. Me demandait que la junte est piegee maintenant en faisant croire qu'elle offre un cadeau en influençant les prix a la baisse. Je ne sais pas la raison derriere cette baisse, mais des que les prix monteraient dans le futur, noys aurons les affamés dans la rue. La junte doit faire attention de ne pas trop inventer la science economique, surtout la theorie de l'offre et de la demande et leurs determinants. C'est deja fait depuis deux siecles au moins, je crois. A-

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  3. cette baisse est subventionnée par l'etat au profit essentiellemnet de proches parents du chef de la junte.En effet un calcul a été fait et des quantités precisées et l'état va rembourser le manque à gagner qui s'eleve à plus de 1 milliard d'ouguiyas.

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Pr ELY Mustapha

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Poésie de la douleur.